Le croiseur Colbert

Durant ma carrière dans la Marine Nationale, J’ai eu l’honneur et la chance de servir comme officier Opérations sous les ordres du Capitaine de Vaisseau de Kersauson de Pennendreff sur ce majestueux croiseur Colbert.

Je garde des souvenirs inoubliables de mon affectation sur ce fier vaisseau qui fut célèbre pour avoir transporté Charles de Gaulle et son épouse au Canada ou plutôt dans la province du Québec, mais également pour avoir participé au déploiement français  « Daguet » lors de la guerre du golfe en 1990.

Quelques décennies plus tôt.

Le 15 juillet 1967, le Colbert appareille de Brest en direction du large vers l’Atlantique nord. En route vers le Canada et l’état du Québec.

Le Colbert à Montréal

Ballotté sur le navire de guerre, le Président de la République Française, refait la traversée de l’océan Atlantique pour rendre visite aux  descendants des premiers colons français qui avaient bravé l’océan deux siècles plus tôt pour s’installer dans ce nouveau monde. Pourquoi Charles de Gaulle a-t-il sacrifié une semaine de son temps à effectuer une traversée pas toujours confortable sur mer qui peut être réalisé en quelques heures par avion.

Quelques années plus tôt, le Général avait été invité par le gouvernement du Québec à visiter l’exposition universelle de Montréal. Le protocole veut qu’un chef d’état arrive par la capitale. Or, au Canada, la capitale c’est Ottawa, choix effectué par la reine Victoria elle-même, bien qu’elle n’ait jamais mis les pieds au Canada.

Montréal était une ville trop francophone pour servir de capitale au Canada.

Mais arriver par Ottawa, ce serait passer par-dessus le Québec alors que c’était le gouvernement de cet état qui  était à l’origine de l’invitation du Général.

Restait donc la voie des mers pour rallier Montréal. C’est ce que fit le général en compagnie de son épouse Yvonne.

Enveloppe commémorative de la visite du général au Québec.

A l’origine, le général devait prendre l’avion vers Saint-Pierre et Miquelon, puis il aurait embarqué pour la baie du Saint Laurent, Québec et Montréal.

A cette époque aucun aéronef ne pouvait voler  d’une traite de Paris à Montréal, cela contraignait de faire une escale à Terre-Neuve en terre anglophone.

C’est donc pour cela que de Gaulle a embarqué à Brest sur le « Colombey flottant »

Il a affronté l’Atlantique Nord par mauvais temps pour arriver à Saint-Pierre et Miquelon un peu éprouvé, comme le sont en général les personnes qui n’ont pas le pied marin, par la traversée de cinq jours sur une mer agitée.

Saint-Pierre et Miquelon, où, quelque 25 ans plus tôt, il avait, contre l’avis des Anglais, effectué sa première opération de rapatriement  en Angleterre des marins de l’archipel au sein de la marine de la France Libre.

Après l’appareillage de Saint pierre, en remontant le Golfe du Saint-Laurent, le Colbert est stoppé  par  un navire de la Marine royale canadienne, qui dépêche à bord un Officier de Marque. Cet officier est chargé d’accompagner et de faciliter les déplacements des hôtes  en visite officielle dans le pays.

On remarquera la fourberie des autorités canadiennes qui avaient désignées, pour remplir cet office,  un officier ne connaissant pas un traître mot de français. Encore une bonne intention de ces anglo-saxons.

Malgré ce manque de tact, le Général se fit un malin plaisir de le convier à sa table durant tout le reste du voyage. Ce fut un calvaire pour le pauvre officier canadien et une petite jouissance pour le Président et tous les convives du carré amiral.

Les blagues fusaient, l’officier canadien riait pour se donner bonne figure, sans savoir qu’on se moquait de lui ainsi que des autorités anglophones d’Ottawa.

Le général avait du mail à cacher son sourire et sa petite moustache blanche frisait de plaisir

L’utilisation du plus grand navire de la marine française plutôt qu’un avion n’était pas neutre.

Il refaisait ainsi la route des premiers pionniers français qui traversèrent l’Atlantique puis remontèrent le fleuve St Laurent pour  s’installer dans la « Nouvelle France ».

Par manque de soutien de la France et par ruse, les colons français ils furent battus lors de la bataille des plaines d’Abraham en 1759 à Québec.

Les colons de la « Nouvelle France » furent persécutés puis chassés par les anglais lors du « Grand dérangement » qui déboucha avec la déportation massive des acadiens jusqu’en 1780.

De Gaulle depuis son séjour forcé à Londres lors de la seconde guerre mondiale avait gardé de la rancœur envers les britanniques. Il voulait sa revanche par une action d’éclat.

C’est lors de cette visite que le Général de Gaulle prononça la phrase désormais célèbre:

« Vive le Québec libre ! »

C’était le 24 juillet  1967 au balcon de l’hôtel de ville de Montréal.

La phrase du général n’a pas du tout été appréciée par les autorités canadiennes anglaises. Un incident diplomatique de grande ampleur s’ensuivit qui l’obligea à écourter sa visite officielle.

Cette fois ci c’est par avion qu’il fit le chemin de retour vers la France.

L’heure de gloire du croiseur Colbert

Le Colbert, navire amiral de l’Escadre de la Méditerranée, a été un des seuls bâtiments de guerre français à participer en 1990/1991 à la Guerre du Golfe au cours de la mission « Salamandre ». du 13 aout 1990 au 5 octobre 1990.

Opération Salamandre

Le 13 aout 1990, ordre est donné à la Task Force 623, composée du porte-avions Clemenceau, du croiseur Colbert et du pétrolier-ravitailleur Var, d’appareiller de Toulon en catastrophe pour rallier l’océan Indien.

Les marins, qui ont l’habitude d’appareiller sans grand préavis  tiennent sans problème le délai requis de 72 heures

A cette époque sur le croiseur,  nous étions  vingt-sept  officiers dont huit officiers supérieurs (Cdt, Cdt en second, Chef du Groupement Opérations, Chef mécanicien, Chef du Service Intérieur et Chef de la sécurité…). 

Le commandant et son second déjeunaient dans le carré de l’amiral avec parfois des invités car lors de la mission Salamandre  en 1990/91 car nous n’avions pas l’État-major à bord. Il se trouvait sur le  PCH « Porte-Camions-Hélicoptères»  Clémenceau qui transportait à son bord le détachement « Daguet ».

Il faut préciser que pour la mission Salamandre, le porte-avions avait été transformé en porte hélicoptères et de camions de l’opération daguet.

Le Colbert « chien de garde » du  « PCH »

Tous les marins de la « Royale » connaissaient ces trigrammes, PCH et MAJ, car ils sont significatifs d’un gain avec majoration de salaire.

En effet MAJ /PCH signifie: Perte au Change et Maj majoration de solde.

A la fin du siècle dernier existait un régime de solde dit « des bâtiments naviguant à l’extérieur ».

Au titre de ce régime, selon les régions où ils naviguaient ou faisaient escale, les personnels recevaient un complément spécial de solde MAJ2 ou MAJ3 dans le langage marine et une indemnité de perte au change de PCH1 à PCH5 selon les cas et la situation du bâtiment.

La Task Force 623 en océan Indien

Le 13 Aout 1990, ordre est donné à la Task Force 623, composée du porte-avions Clemenceau, du croiseur Colbert et du pétrolier-ravitailleur Var, d’appareiller pour l’océan Indien.

Les marins, ont l’habitude d’appareiller en catastrophe et l’océan Indien est une zone tumultueuse, surtout aux abords du détroit d’Ormuz, passage obligé vers le golfe Persique et les puits de pétrole d’Arabie des Émirats et du Koweït.

La Task Force  623 franchie le canal de Suez  dans la nuit du 17 au 18 août .

Le groupe atteint le port de Djibouti le 22 août pour une acclimatation aux conditions désertiques extrêmes durant l’été (plus de 50 °C à l’ombre). Le 26 août un nouveau commandant de la force est nommé.

La marine Nationale française entretient une présence permanente à Djibouti  à proximité du détroit de Bab el Mandeb (la porte des lamentations) autre point névralgique d’accès à la Mer Rouge et le canal de Suez pour accéder à la mer Méditerranée

Le 28 août, les navires de la Task Force Salamandre reprennent la mer en direction du Détroit d’Ormuz.

Du 3 au 10 septembre, des exercices  ont lieu avec l’armée de l’air des Émirats Arabes Unis qui décollent de l’aérodrome de Fujeira.situé dans le sultanat d’Oman.

Les 12 et 13 septembre, un exercice  a lieu cette fois avec les autorités Omanaises.

Le dimanche 23 septembre 1990, l’escadre  arrive au port de Yambu en Arabie Saoudite

Le Clemenceau commence le débarquement de ses 30 hélicoptères de combat et les 12 hélicoptères de transport de troupes ainsi et de tout le matériel de l’opération Daguet.

Le 25, des hélicoptères du 5e R.H.C se posent à la Cité du roi Khaled (en) (C.R.K. en français – base militaire saoudienne, ne figurant sur aucune carte) tandis que Le Clemenceau et son escorte quittent l’Arabie Saoudite pour rentrer à Toulon, les 05 et 6 octobre 1990. C’est la fin de l’Opération Salamandre et le début de l’Opération Daguet.

Le bidet de  « Tante Yvonne »

En 1990, durant la mission Salamandre en mer d’Oman, je fus  invité à la table de l’amiral par le capitaine de vaisseau de Kersauson, commandant du Colbert. Il y avait comme invités pour ce dîner le Capitaine de Frégate Gilbert le second du bord et le capitaine de Corvette Musso officier artillerie.

Après un apéritif au salon, ponctué d’histoires et de blagues diverses racontées par mon ami Elie et de Kersauzon lui-même, avant de passer à table, je demande au commandant l’autorisation d’utiliser ses toilettes, le commandant me dit : « Je vous en prie mon cher Quideau, allez donc vous soulager dans les toilettes  la porte à droite à côté du bidet de tante Yvonne ».

Au  premier abord, surpris, je n’ai pas tout de suite compris cette boutade du commandant.

Arrivé dans les lieux, j’ai pu constater qu’il y avait bien un bidet dans les toilettes de l’Amiral.

Il avait été installé à la demande de  Madame de Gaulle dite « tante Yvonne » spécialement pour le voyage du Général et de son épouse vers le Québec.

C’était un bidet classique en bakélite de couleur saumon avec une robinetterie vintage.

Ce qui était encore plus étonnant, .surtout à cette époque,  Il y avait également une cheminée dans le carré amiral  Même si cette cheminée avec de fausses buches et des flammes factices.

En ce qui concerne l’église, comme il y avait aussi un aumônier, les offices se faisaient au carré des officiers.

Ma chambre, lors de mon affectation à bord, était contiguë à celle de l’aumônier dans le « château avant », directement sous le PC radio et le Central Opérations.

Je peux dire, vu sa grandeur et l’espace que m’était alloué,  j’étais logé « comme un curé ».

La « Nymphe » du croiseur Colbert

Un grand tableau représentant une pin-up à moitié nue était accroché sur la cloison du salon du carré des officiers, à droite en rentrant, face au petit bar.

Un grand tableau représentant une pin-up à moitié nue était accroché sur la cloison du salon du carré des officiers, à droite en rentrant, face au petit bar.

On ne voyait que cette toile, lorsque l’on prenait un pot au salon ou au bar du carré. Elle ne pouvait pas passer inaperçue et suscitait bien des interrogations

Un comble, aucun des officiers du bord  ne connaissait la réponse exacte et comment une peinture aussi osée puisse être accrochée sur la cloison du carré des officiers dont un bon  nombre étaient des catholiques pratiquant aux mœurs plutôt prudes.

Il y avait beaucoup de spéculation quand à cette présence.

Comment cette toile était arrivée là ?, qui en était l’auteur?

Etait-ce la maîtresse d’un des anciens officiers ?

Certains disaient qu’elle avait été peinte par un ancien officier du bord qui avait les dons de peintre impressionniste et  qui avait pris pour modèle sa petite amie. .

Tout simplement, cette toile avait été offerte par le cousin d’un peintre célèbre au carré des officiers de Colbert, suite à une invitation à bord, ou il avait été particulièrement bien reçu.

Jean-Gabriel Domergue

Jean-Gabriel Domergue était le petit-cousin du peintre Henri de Toulouse-Lautrec.

Jean-Gabriel Domergue est né le 4 mars 1889 à Bordeaux.

Il est décédé le 16 novembre 1962 à Paris.

La Parisienne est l’un des sujets favoris de ce peintre « mondain » qui se dit être « l’inventeur de la pin-up ».

Il eut pour modèle, entre autres, Nadine de Rothschild, Joséphine Baker et bien d’autres artistes et mondanités de cette époque.

C’était  un peintre qui n’était  guère apprécié de la majorité des critiques d’art qui trouvaient sa peinture stéréotypé car Il peignait  très souvent  des femmes nues ou demi-nues, toujours très coquettes, au cou démesurément long.

Après-guerre, il utilisa un de ses portraits féminins, celui du buste d’une jeune femme aux épaules nues vêtue d’une robe verte, de longs gants noirs et d’un chapeau à voilette pour illustrer la couverture de la carte du « Cabaret »

Il se disait aussi : «Les femmes ne trouvent leur portrait ressemblant  que lorsqu’il ressemble à ce qu’elles voudraient être».

Le peintre Jean-Gabriel Domergue achète un terrain à la Cannes en 1926. Il conçoit, et fait réaliser la villa, sous le nom de « villa Fiesole ». 

Il est très influencé par le style italien de la renaissance, et par une villa qu’il avait vue à côté de  Florence.

Son épouse, Odette Domergue, conçoit des jardins méditerranéens, les bassins et les cascades agrémentés de statues antiques.

Le couple réside ans la villa à partir de 1932 jusqu’à la mort du peintre en 1962.Dix ans plus tard, Odette Domergue lègue la propriété à la ville de Cannes.

Depuis les années 1990, la villa est l’endroit où se réunit le jury officiel du Festival de Cannes pour la délibération finale des  « palmes d’or ».

La villa accueille toujours des évènements mondains ou des manifestations officielles de la ville et est ouverte pour des expositions artistiques.

Faisant parti du dernier État-major du croiseur avant sa mise à la retraite,  j’ai hérité d’un souvenir de ce carré des officiers. Le fameux tableau de la belle ingénue fut offert au carré des officiers de la frégate Cassard.

Le Cassard ayant également terminé sa carrière, le tableau est parti vers d’autres cieux, lesquels, mystère ?

Le Cassard ayant également terminé sa carrière, le tableau est parti vers d’autres cieux, lesquels, mystère ?

Après une dernière mission en Méditerranée avec l’escadre, le Colbert fait escale à Venise du 12 au 18 Avril 1991.

De retour à Toulon, le croiseur est désarmé et remorqué vers Bordeaux ou il entame une pré-retraite comme musée naval en 1993.

Trop cher à entretenir, il fut remorqué vers le cimetière marin de Landévennec en 2007 ou il séjourna jusqu’en 2014.

Le 12 juin 2014, il est remorqué jusqu’à la base naval de Brest pour y être désamianté.

Le dernier voyage du croiseur Colbert

Le 2 février 2016, de nouveau remorqué à Bassens, près Bordeaux, il fut déconstruit de 2017 et 2018.